L’ESG au féminin – l’importance de la conception des produits
L’ESG au féminin – l’importance de la conception des produits
De nombreuses entreprises ne remplissent pas les conditions requises pour qu’un produit non genré soit véritablement inclusif pour les femmes. Amarachi Seery, analyste ISR, explique pourquoi il est judicieux de concevoir des produits inclusifs.
Principaux points à retenir
- Bien qu’ils représentent 75 % des dépenses discrétionnaires des consommateurs, de nombreux produits et services ne sont pas conçus pour répondre aux besoins des femmes et il arrive même que des défauts de conception s’avèrent dangereux.
- Nike, géant de « l’Athleisure », a admis l’impact négatif du manque de diversité sur le lieu de travail et a depuis lors stimulé les ventes de ses vêtements pour femmes en embauchant du personnel talentueux et diversifié qui a rendu ses produits plus inclusifs pour tous.
- L’équipe est convaincue que plus la sensibilisation à la conception inclusive du genre se généralisera, et plus les entreprises devront s’adapter pour éviter d’être concurrencées par celles qui ont une véritable compréhension des exigences liées à la sexospécificité.
Chacun s’accorde à reconnaître que les femmes doivent être prises en compte dans l’analyse environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) d’une entreprise, et ce pour de nombreuses raisons (la plus évidente étant qu’elles représentent la moitié de la population). Lorsque les femmes sont considérées comme un facteur ESG, c’est souvent dans une perspective opérationnelle. Les mesures quantitatives – telles que le pourcentage de femmes au conseil d’administration, le pourcentage de femmes parmi les cadres supérieurs et le pourcentage de femmes employées – constituent généralement les mesures ESG rapportées pour déterminer dans quelle mesure une entreprise prend les femmes en considération. En outre, des paramètres qualitatifs tels que la culture d’entreprise et les controverses sont pris en compte. C’est une bonne pratique à adopter, car la manière dont une entreprise traite ses employées peut souvent être révélatrice de la présence d’autres problèmes culturels systémiques potentiellement préjudiciables. Cela m’a amené à réfléchir à la question de savoir si ces facteurs opérationnels doivent être le seul aspect à prendre en compte.
En 2009, la Harvard Business Review a constaté le pouvoir économique croissant des femmes. Bien que ce rapport commence à dater, il fournit une bonne base de réflexion et souligne que les femmes conditionnent la majorité des décisions des ménages en matière de dépenses (voir graphique 1). Depuis, un certain nombre d’études ont mis en évidence la tendance à la hausse des revenus et des dépenses des femmes. Une étude de Frost & Sullivan a mis en évidence une augmentation de 4 000 milliards de dollars en deux ans des revenus des femmes dans le monde, tandis que le Boston Consulting Group prévoit que d’ici 2028, les femmes seront à l’origine de 75 % des dépenses de consommation discrétionnaire1,2. Pour autant, les besoins des femmes ne sont pas toujours pris en compte dans la conception des produits et services.
Graphique 1 : Les femmes conditionnent la majorité des décisions en matière de dépenses
Source : Harvard Business Review, The Female Economy, 2009
Le McKinsey Global Institute a constaté qu’une réelle émancipation économique des femmes pourrait faire progresser le PIB de 12 000 milliards de livres sterling d’ici 20253. S’ils ne l’étaient pas déjà suffisamment, les arguments en faveur de l’émancipation économique des femmes sont évidents.
S’agissant des produits spécifiquement conçus pour les femmes, les efforts ont parfois été insuffisants. Dans le passé, certaines entreprises ont coloré leurs produits en roses afin d’essayer maladroitement d’attirer les acheteuses. Sans surprise, cela ne répondait pas aux préoccupations ni aux besoins des consommatrices et, dans certains cas, ces produits étaient même plus chers que leurs équivalents non « féminisés ». Dans son ouvrage Invisible Women: Exposing Data Bias in a World Designed for Men, Caroline Criado Perez dénonce les conceptions qui ne tiennent pas compte des besoins des femmes et qui peuvent, dans certains cas, mettre leur vie en danger.
Les pratiques de conception sectaires peuvent être dangereuses
Caroline Criado Perez prend l’exemple de l’automobile, un produit dont la conception ne devrait pas être genrée. Elle souligne que, même si les hommes sont plus susceptibles d’être impliqués dans un accident de voiture, les femmes ont 47 % plus de chances d’être gravement blessées, 71 % plus de chances d’être modérément blessées et 17 % plus de chances de mourir. En effet, la sécurité automobile est conçue du point de vue du conducteur masculin, l’Union européenne (UE) n’exigeant pas l’utilisation d’un mannequin de simulation féminin anthropométriquement correct pour les cinq tests qu’une voiture doit passer avant de recevoir l’autorisation de mise sur le marché4. La réglementation n’est guère plus équitable aux États-Unis puisque le mannequin de simulation féminin standard est représentatif du 5ème centile de la population globale des femmes américaines, soit 4,11 pieds (1m50) et 108 livres (49 kg)5.
J’ai personnellement expérimenté une sécurité non conçue du point de vue des femmes. J’ai travaillé sur des chantiers de construction, où le manteau de sécurité, le gilet de haute visibilité, les chaussures et les gants de sécurité étaient mal ajustés parce qu’ils étaient conçus pour les hommes. Souvent, mon équipement de protection individuelle (EPI) encombrant s’accrochait aux échafaudages et au matériel d’escalade parce qu’il était trop ample, résultat du fait qu’on ne m’avait pas fourni d’EPI adapté à une morphologie féminine. Une autre de mes collègues a dû porter plusieurs paires de chaussettes épaisses parce qu’il n’y avait pas de bottes de sécurité à sa taille.
Et puis j'ai vécu un épisode qui a changé ma façon de considérer le genre du point de vue ESG. Je participais à une réunion de dialogue avec une entreprise sur laquelle nous menions des recherches. L’entreprise avait apporté des échantillons des chaussures qu’elle fabriquait, et j’ai posé au PDG et à l’équipe chargée des relations avec les investisseurs une question que je pensais simple : « Avez-vous apporté des échantillons pour femmes ? »
Le visage du PDG s’est décomposé car lui et son équipe n’avaient pas prévu la présence d’une femme, ni même que quelqu’un s’intéresserait aux vêtements pour femmes.
J’ai commencé à réfléchir à mes expériences et au fait qu’il existe tant d’entreprises qui prennent désormais la mesure de la nécessité d’inclure cet aspect dans la conception de leurs produits et services. Ces entreprises ont pris des parts de marché aux entreprises traditionnelles. Pourtant, comment la conception inclusive peut-elle devenir la norme alors qu’on estime que 78 % de la main-d’œuvre dans le domaine de la conception au Royaume-Uni est masculine6 ? Je voulais savoir si mes collègues féminines partageaient mes expériences et j’ai pensé que le meilleur point de départ était « l’athleisure ».
Étude de cas : Nike
Nike, l’un des principaux fabricants de chaussures et de vêtements au monde, s’est donné pour mission d’être une source d’inspiration et d’innovation pour les athlètes du monde entier. Par le passé, nous avions fait part de nos inquiétudes quant aux lacunes de l’entreprise en matière de diversité. Nous estimions notamment que le manque de représentation féminine aux postes de direction de l’entreprise avait pour conséquence de lui faire perdre des parts de marché sur les segments sportswear et athleisure. Depuis lors, elle a amélioré le service de relations avec les employés, en privilégiant l’embauche de collaborateurs spécialisés dans les ressources humaines, les relations avec les employés et le droit, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de vice-présidents (VP) de sexe féminin et/ou issus de groupes sous-représentés. Nous considérons désormais que Nike est un centre d’excellence indépendant en ce qui concerne la diversité de son personnel. L’entreprise a également renforcé son code de déontologie et encouragé le dialogue et la transparence avec ses employés au moyen d’un sondage annuel sur la question du dialogue avec les employés. Elle a aussi dispensé une formation à tous ses employés sur les préjugés inconscients et a élargi son programme de sensibilisation destiné au personnel d’encadrement.
Grâce à cette diversité, Nike a amélioré le marketing et l’innovation à destination des femmes, élargit son offre de tailles pour convenir à plus de morphologies différentes et crée davantage de récits et de liens numériques sur les réseaux sociaux. Heidi O’Neill, présidente de Nike Direct, a joué un rôle fondamental dans la promotion de l’investissement dans des gammes de vêtements coupés et conçus pour les femmes. L’entreprise cherche à se montrer plus attentive à sa façon dont elle s’adresse aux femmes et a renforcé son engagement auprès d’elles, notamment dans le domaine des vêtements et accessoires de yoga. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’entreprise a enregistré une augmentation de son chiffre d’affaires sur le segment des vêtements pour femmes et explique ce progrès par l’accent mis sur le marketing et le design.
Ce n’est qu’un exemple de la manière dont la diversité des genres peut créer de la valeur ajoutée dans une entreprise. De nombreuses autres études ont montré que la diversité de l’équipe dirigeante est positivement corrélée à l’innovation. Malgré cela, les femmes ont moins de chances que les hommes d’accéder à des postes à responsabilité dans le domaine du design. Nous pensons qu’il existe un moyen simple de réduire l’écart entre les innovateurs et les consommateurs : faire en sorte qu’ils ne fassent qu’un. Il y a cinq ans à peine, une étude du Design Council a révélé qu’au Royaume-Uni, seuls 17 % des responsables du design et 14 % des designers à un niveau d’encadrement étaient des femmes6.
Nous sommes convaincus que le fait de confier à des femmes de talent des rôles dans le domaine du design peut libérer une richesse de potentiel inexploité, en aidant à promouvoir une pensée alternative et en rendant les entreprises plus conscientes des besoins des femmes. Sans les défenseurs de cette cause au sein des équipes de direction et de conception, cette voix peut facilement se perdre parmi d’autres échanges sur la conception. Le dialogue avec les entreprises est un moyen essentiel de leur demander des comptes tout en cherchant à améliorer la performance des actionnaires. En ce qui concerne la question du genre, nous commençons à accorder davantage d’attention à la question de savoir si les produits fabriqués sont inclusifs du point de vue du genre, et nous analysons les rôles occupés par les femmes au sein de l’entreprise. Nous sommes convaincus que plus la sensibilisation à la conception inclusive du genre se généralisera, et plus les entreprises devront s’adapter pour éviter d’être concurrencées par celles qui ont une véritable compréhension des exigences liées à la sexospécificité.
Notes de bas de page
1 Frost & Sullivan Global Mega Trends to 2030, mars 2020
2 Boston Consulting Group
3 McKinsey Global Institute, The Power of Parity: How Advancing Women’s Equality can add $12 Trillion to Global Growth, septembre 2015
4 Invisible Women: Exposing data bias in a world designed for men, Caroline Criado Perez, 2020
5 United States Department of Transportation National Highway Traffic Safety Administration
6 Design Council, Design Economy, 2018