Les investisseurs et la nouvelle ère de la géopolitique

La politique internationale devient plus instable, ce qui crée des incertitudes mais également des opportunités pour les entreprises et les investisseurs. L'Economist Intelligence Unit (EIU) réalise un suivi de la stabilité politique et géopolitique depuis des décennies. Nos données montrent une nette augmentation de la menace que les tensions internationales ont fait peser sur les économies au cours de ces 15 dernières années. En 2010, nous avions estimé qu'environ 40 % des zones géographiques étudiées n'étaient pas ou peu menacées par les tensions internationales. Or cette proportion est aujourd'hui tombée à 25 %. La gestion des risques géopolitiques est rapidement devenue une priorité pour les gouvernements et les entreprises.

Évolution de la répartition mondiale du pouvoir

L'évolution de la répartition mondiale du pouvoir sont à l'origine de ces changements. La suprématie des États-Unis n'est plus aussi indiscutable qu'elle l'était au cours de la période allant de 1990 à 2009, ce qui affaiblit leur capacité et leur détermination à agir en tant que « gendarme du monde ». Les puissances montantes, telles que la Chine, cherchent à accroître leur influence au niveau mondial tandis que les acteurs non étatiques violents saisissent l'occasion pour provoquer des perturbations. Les rivalités géopolitiques ont paralysé la capacité des organisations internationales à arbitrer les conflits relatifs à la sécurité et au commerce. L'internationalisation croissante des conflits armés, dans la mesure où un plus grand nombre de parties extérieures cherchent à influencer les résultats en faveur de leurs intérêts, les rend plus difficiles à résoudre.

Préparez-vous à une plus grande instabilité

Les investisseurs doivent s'attendre à une plus grande instabilité géopolitique dans les prochaines années. Les craintes d'assister à l'émergence d'une guerre mondiale, voire d'un conflit nucléaire, sont exagérées : il y a peu de signes de l'émergence d'un axe rival qui défierait fondamentalement les États-Unis et leurs alliés (à noter que les relations entre la Chine et la Russie ne sont pas aussi solides qu'on pourrait le supposer). Néanmoins, nos perspectives économiques à long terme indiquent une nouvelle répartition du pouvoir mondial qui accordera aux économies émergentes une plus grande influence et entraînera des changements de l'ensemble des règles et des institutions internationales en place depuis 1945.

Que signifie la course au pouvoir pour les investisseurs ?

La contestation et les changements de pouvoir auront un impact profond sur les investisseurs. Les périodes de changements géopolitiques ont toujours été à l'origine de changements importants des résultats économiques. Nous constatons que l'environnement géopolitique actuel a un impact dans plusieurs domaines clés :

Prix et taux d'intérêt

• La concurrence géopolitique sera inflationniste. La refonte des chaînes d'approvisionnement, les pays cherchant à relocaliser ou à délocaliser vers des pays amis des maillons essentiels de leur chaîne de production, entraînera une hausse des prix en raison de la perte d'efficiences. Les politiques commerciales restrictives et la constitution de réserves stratégiques de matières premières accentueront ces pressions sur les prix.
• Un conflit régional ou mondial ouvert entraînerait une flambée des prix en raison des chocs sur l'offre et la demande. La guerre a tendance à être inflationniste en raison de la demande liée à l'effort de guerre et de l'utilisation d'outils de politique monétaire expansive pour la financer.
• Une inflation tendancielle plus élevée maintiendra les taux d'intérêt à un niveau plancher, ce qui conforte notre opinion selon laquelle ils resteront « plus élevés pendant plus longtemps ». Un conflit majeur pourrait inverser cette tendance s'il conduit à une intervention monétaire importante.

Dépenses des secteurs public et privé

• La concurrence géopolitique encouragera les gouvernements à donner la priorité aux dépenses associées à leur politique industrielle et de défense, ce qui s'est déjà manifesté dans les réponses américaines et européennes à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Ces dépenses seront engagées au détriment des programmes sociaux dans des domaines tels que la santé, l'éducation et le logement.
• L'évolution des priorités budgétaires pourrait conduire les responsables politiques à envisager que le secteur privé fournisse davantage de biens publics essentiels compte tenu de la forte demande dans ces domaines. Mais en général, l'investissement privé sera limité par les incertitudes géopolitiques et des coûts d'emprunt élevés.
• Il est peu probable que l'on assiste à une austérité budgétaire dans le contexte actuel. Outre les pressions exercées sur les dépenses, les gouvernements éprouveront des difficultés politiques à augmenter les impôts. Ces facteurs laissent présager des déficits budgétaires persistants et des rendements relativement élevés. Or dans un scénario de conflit, les rendements seraient tirés à la baisse par la demande de valeurs-refuges mondiales tels que les bons du Trésor.

Productivité et concurrence

• La concurrence entre les pays a toujours été un moteur de l'évolution technologique. Le désir d'être à l'avant-garde de l'innovation internationale stimulera le financement public dans ces domaines et créera des opportunités pour les acteurs privés, en particulier en ce qui concerne les applications de défense nationale.
• L'intelligence artificielle (IA) est au centre des évolutions de l'environnement actuel compte tenu de la concurrence mondiale et des divisions sur l'approche à adopter dans ce secteur.

Comprendre les implications de cette nouvelle ère

En l'absence de conflit ouvert, les changements dans la répartition mondiale du pouvoir tendent à se produire progressivement. Néanmoins, les récents conflits en Europe et au Moyen-Orient donnent actuellement l'impression que les changements géopolitiques se produisent à une vitesse inhabituelle. Il deviendra de plus en plus essentiel de comprendre les répercussions de ce nouvel environnement géopolitique dans le domaine de l'investissement, à la fois pour se protéger contre les risques inattendus et pour identifier des opportunités.

« Comme indiqué dans l'article Agir en fonction du changement : trois facteurs à prendre en compte pour un positionnement à long terme de vos investissements, nous partageons le point de vue de l'Economist Intelligence Unit selon lequel la situation géopolitique aura des implications significatives sur l'économie, le commerce international et les chaînes d'approvisionnement qui le rendent possible.

 

Pour les investisseurs, l'impact de ce changement est multiple et il sera important d'évaluer ses opportunités à la fois sous l'angle macroéconomique et microéconomique. Il est plus important que jamais de comprendre l'environnement dans lequel exercent les entreprises, et de savoir si le contexte géopolitique est favorable à chaque entreprise et à son secteur d'activité. La gestion des répercussions des conflits transfrontaliers, des relocalisations et des ajustements de la chaîne d'approvisionnement devient aussi importante que l'analyse de l'entreprise elle-même. Nos plus de 340 professionnels de l'investissement sont des experts dans l'analyse de ce type de changement et nous nous appuyons sur nos 90 années d'expérience dans le positionnement actif de nos portefeuilles d'investissement pour le compte de notre clientèle.

 

La géopolitique aura un impact sur toutes les classes d'actifs et nous sommes d'accord avec l'EIU qui prétend que parmi ces répercussions figureront une évolution des dépenses budgétaires, un coût du capital plus élevé, des rendements élevés rendant les obligations attrayantes, des progrès technologiques et de la productivité ainsi que les développements induits par l'IA. Dans ce contexte évolutif, nous cherchons à fournir aux investisseurs des informations régulières et différenciées pour les aider à agir en fonction du changement et à réfléchir de manière globale afin de se préparer à un avenir plus radieux en matière d'investissement. »

 

Ali Dibadj, Directeur général